Questions et réponses

1) Pourquoi l’initiative pour la justice est-elle nécessaire?

La séparation des pouvoirs de l’État entre le pouvoir législatif (parlement), le pouvoir exécutif (gouvernement et administration) et le pouvoir judiciaire (justice ou jurisprudence) fait partie des principes fondamentaux essentiels de la démocratie. Elle doit empêcher que l’un de ces pouvoirs prenne le pas sur les autres et menace l’équité et la liberté des citoyens.
Les juges du Tribunal fédéral sont actuellement élus par l’Assemblée fédérale (Chambres réunies), qui tient librement compte du système de la représentation proportionnelle des partis. Dans les faits, seuls peuvent aujourd’hui devenir juges fédéraux celles et ceux qui s’engagent dans l’un des partis représentés au Parlement. L’initiative sur la justice souhaite éliminer cette dépendance des juges fédéraux à l’égard des partis, car elle est matériellement inutile et non souhaitable du point de vue de la séparation des pouvoirs. Elle propose donc de les sélectionner selon une nouvelle procédure.

2) Pourquoi est-ce mauvais que tous les juges fédéraux soient membres d’un parti?

Le réseau de relations et de dépendances que les juges fédéraux doivent construire pour accéder à leur poste subsiste après leur élection au Tribunal fédéral et affecte leur indépendance.
En outre, les «gêneurs» courent le risque de ne pas être réélus par l’Assemblée fédérale (Chambres réunies) dans le cadre des élections régulières de confirmation. Cette menace permanente restreint leur indépendance, ce qui peut influencer négativement la qualité de leurs arrêts.
De plus, pour exercer leurs fonctions, les juges fédéraux versent des contributions (impôt de mandat) à leurs partis, ce qui accroît davantage leur interdépendance.

3) L’initiative pour la justice veut-elle interdire aux juges fédéraux d’avoir des opinions politiques?

Non, en aucun cas. Les juges fédéraux sont des citoyens qui ont des droits politiques et une liberté d’opinion politique comme tous les autres citoyens. Mais il ne faut pas qu’ils se sentent redevables de leurs fonctions envers un parti politique ni qu’on leur rappelle régulièrement cette dépendance par le biais d’impôts de mandat et de réélections périodiques.
S’ajoute à cela le fait que 10% à peine de la population ayant le droit de vote a une appartenance à un parti.
Les opinions politiques et l’appartenance à un parti politique ne doivent en aucun cas constituer des qualifications requises pour devenir juge fédéral, et personne ne doit se voir interdire d’exercer cette fonction sous prétexte de ne pas remplir ces critères.

4) Le système actuel de désignation des juges garantit une représentation proportionnelle des partis et donc une bonne représentation de la population. Pourquoi le changer?

Le futur système garantit une représentation proportionnelle de toute la société avec à la clé une population encore mieux représentée, en particulier lorsqu’elle estime ne pas l’être par les partis.

5) Que propose concrètement l’initiative pour la justice?

L’initiative sur la justice pose de nouvelles bases concernant

  • la désignation des juges fédéraux (art. 188a Cst.);
  • la durée de leurs fonctions (art. 145, al. 1, phrase 2 Cst.);
  • leur révocation (art. 145, al. 2 Cst.).

La pierre angulaire de l’initiative est la désignation des juges fédéraux par tirage au sort.

6) Quelles conséquences aura l’adoption de l’initiative pour la justice?

Les bons juristes indépendants auront plus de chances de devenir juges fédéraux. Cela permettra à des personnes qualifiées et intéressées qui se seront jusque là tenues à l’écart de la politique des partis de se porter candidates à cette fonction.

Les arrêts du Tribunal fédéral seront plus indépendants car l’autorisation de participer au tirage au sort dépendra uniquement des qualifications personnelles et juridiques et non de l’orientation politique et du réseau de relations des candidates et des candidats. En outre, les juges fédéraux ne pourront pas tenir compte des intérêts de l’administration et de la politique lorsqu’ils rendront leurs arrêts, de sorte que ceux-ci seront de meilleure qualité et mieux motivés. On peut aussi s’attendre à ce que l’initiative, qui concerne le Tribunal fédéral, ait des répercussions positives sur les autorités cantonales précédentes.

7) Pourquoi l’initiative prévoit-elle la désignation des juges fédéraux par tirage au sort?

Parce que c’est la seule façon de garantir l’égalité des chances. Lorsque quelqu’un pose sa candidature pour devenir juge fédéral, son appartenance à un parti n’est pas prise en compte. La mise au concours publique de postes de juges à pourvoir indiquant le profil professionnel, linguistique et personnel requis - ce profil étant contrôlé par une commission spécialisée désignée par le Conseil fédéral - garantit que seules les qualifications personnelles des candidates et des candidats sont prépondérantes, et non leurs cartes de parti.

8) Qu’est-ce qui est démocratique, dans un tirage au sort?

Dans la polis antique, les Grecs pratiquaient déjà le tirage au sort, surtout à Athènes. Cette procédure devrait contribuer à éviter que l’instance décisionnaire soit corrompue et influencée avant de faire ses choix. Même Montesquieu, qui a «inventé» la séparation des pouvoirs, a écrit que le suffrage par le sort était dans la nature de la démocratie.
Lorsque les juges sont désignés par tirage au sort, leur sélection ne peut en aucune façon être influencée par les partis, les administrations, les lobbys ou autres. Le tirage au sort est, dès le départ, sans parti pris, juste, neutre et transparent, de sorte qu’il offre les mêmes opportunités démocratiques à l’ensemble des candidates et des candidats qualifiés.

9) Tout le monde peut-il maintenant devenir juge fédéral?

Non. L’initiative réclame qu’une commission spécialisée effectue une présélection selon des critères objectifs d’aptitude professionnelle et personnelle à devenir juge fédéral. Le législateur devrait fixer concrètement ces critères. Pour pouvoir participer à un tirage au sort, il faut notamment avoir une formation juridique complète et plusieurs années d’expérience professionnelle, bénéficier d’une réputation irréprochable et être fiable.

10) La commission spécialisée est désignée par le Conseil fédéral. Mais la composition de ce dernier est notamment marquée par les partis et les appartenances politiques.

Comment peut-on, dès lors, avoir la certitude que les experts ne seront pas eux aussi influencés par ces deux facteurs et/ou qu’ils ne désigneront pas des connaissances?

Le nouvel article de la Constitution consacre l’indépendance des membres de la commission spécialisée. Il dispose qu’« ils sont indépendants des autorités et des organisations politiques dans l’exercice de leur activité » (art. 188a, al. 3, phrase 3). Le tirage au sort empêche en outre les groupes d’intérêts tels que les partis de porter les candidatures de certaines personnes aux postes de juges fédéraux.

11) Quelles sont les éléments clés du tirage au sort que demande l’initiative?

Pour garantir une jurisprudence de qualité, il faut une procédure d’admission par laquelle une commission spécialisée vérifie l’aptitude des candidates et des candidats à devenir juges fédéraux avant d’examiner leur admission au tirage au sort et de procéder au hasard à un tirage public.
La procédure d’admission constitue donc la première étape, et le tirage au sort, la deuxième.
La commission spécialisée, indépendante, est nommée par le Conseil fédéral. Elle peut par exemple être composée de juristes expérimentés et indépendants qui enseignent (membres du corps professoral), exercent dans des juridictions (juges) ou des études (avocates et avocats).

12) Où demeure la responsabilité (démocratique) dans le tirage au sort?

Le tirage au sort donne à l’ensemble des candidates et des candidats qualifié-e-s, membres ou non d’un parti, les mêmes chances de devenir juges fédéraux. Il empêche les partis de porter les candidatures de certaines personnes aux postes de juges fédéraux en fonction de considérations politiques.

13) Est-ce pratique à mettre en œuvre? Comment pourrait se présenter un tel tirage au sort?

Il appartient en principe au Parlement, au Conseil fédéral et au Tribunal fédéral d’organiser concrètement le tirage au sort sur la base du nouvel article constitutionnel. Pour cela, ils pourront s’appuyer sur des processus qui ont déjà fait leurs preuves jusqu’ici. Voici comment les auteurs de l’initiative se représentent globalement le procédé.

Télécharger la procédure de tirage au sort proposée

14) Pourquoi le texte de l’initiative demande-t-il une représentation équitable des langues nationales?

Il faut garantir à l’ensemble des citoyennes et des citoyens la possibilité de correspondre avec le Tribunal fédéral dans leur langue officielle et empêcher que des barrières linguistiques gênent leur accès à la plus haute juridiction. Cette évidence n’est pas ancrée dans la Constitution fédérale actuelle. Des tirages au sort qualifiés et adéquats permettent d’éviter de façon certaine tout déséquilibre entre les régions linguistiques.

15) Pourquoi avez-vous demandé une garantie de représentation uniquement pour les langues et pas pour les sexes?

Il faut garantir à l’ensemble des citoyennes et des citoyens la possibilité de communiquer avec le Tribunal fédéral dans leur langue officielle. Cet élément est en définitive l’une des compétences nécessaires à l’exercice de la fonction de juge fédéral. Le tirage au sort garantit par son caractère aléatoire la représentation des femmes, des hommes, des majorités et des minorités ainsi que celle des petits et des grands groupes d’intérêts. La qualification pour la fonction importe plus que toute caractéristique démographique.

16) Pourquoi faut-il que les juges fédéraux restent en fonction jusqu’à leur retraite?

Il est judicieux que les juges fédéraux ne partent à la retraite que quelques années après avoir atteint l’âge ordinaire de la retraite. Cela permet en effet de garantir que leurs hautes qualifications et leur grande expérience soient entièrement exploitées. Les tirages au sort étant aléatoires, il est tout à fait possible qu’une personnalité qualifiée ne soit nommée juge fédéral qu’après y avoir participé plusieurs fois. Le fait que les juges fédéraux soient nommés jusqu’à leur départ à la retraite leur confère un degré d’indépendance élevé. Ils n’ont ainsi pas à se demander s’ils seront réélus juste parce qu’ils ont éventuellement rendu un jugement déplaisant pour des cercles influents. Ils peuvent rendre des arrêts sans avoir à en craindre les conséquences négatives pour leur existence économique.

Pour éviter un vieillissement du Tribunal, il faut cependant que les juges soient nommés, non pas à vie, comme c’est par exemple le cas aux États-Unis, mais seulement jusqu’à leur départ à la retraite.

17) Un juge fédéral peut-il être révoqué?

Oui, le texte de l’initiative prévoit, dans des cas spécifiques, que les juges fédéraux peuvent, notamment en cas de violation grave de leurs devoirs professionnels, être révoqués s’ils ont abusé de leurs fonctions ou s’ils ont perdu la capacité de les exercer (par ex. pour raisons de santé). L’Assemblée fédérale (Chambres réunies) peut en conséquence révoquer un juge fédéral sur demande du Conseil fédéral et à la majorité des votants.

18) Qu’adviendra-t-il des juges fédéraux actuellement en fonction si l’initiative est adoptée?

Comme il serait pesant pour les juges fédéraux ordinaires actuellement en fonction de perdre leur poste avant de partir à la retraite en cas d’acceptation de l’initiative, celle-ci prévoit, dans sa disposition transitoire, qu’ils pourront rester en fonction jusqu’à leurs 68 ans révolus. La limite d’âge de 68 ans correspond à l’âge de départ à la retraite prévu dans la loi sur le Tribunal fédéral.

19) Pourquoi le Conseil fédéral et les partis s’opposent-ils à l’initiative pour la justice ?

Les politiques critiquent cette initiative parce qu’elle réduit le pouvoir et les flux financiers dont les partis bénéficient puisque ces derniers ne pourraient plus sélectionner ou influencer les juges du Tribunal fédéral. Karin Keller-Sutter, la conseillère fédérale, expliquait ainsi que « le système a fait ses preuves ». Mais la question que nous nous posons est de savoir pour qui ce système a fait ses preuves. Pour les partis avant tout.


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